Si l’ouverture de Pink Elephant, première parution d’Arcade Fire en trois années mouvementées, vous surprend – une nappe cinématographique de trois minutes évoquant les sons cosmiques de Morton Subotnick –, jetez un œil aux crédits. Aux côtés de Win Butler et Régine Chassagne, on trouve Daniel Lanois, compatriote canadien qui insuffle depuis près d’un demi-siècle une touche quasi magique aux albums de U2, Bob Dylan ou Brian Eno. Il coproduit ici le septième album du groupe montréalais, qu’il parsème de délais stéréo et d’abstractions en tous genres. D’ailleurs, ce morceau d’ouverture, « Open Your Heart or Die Trying », n’est qu’un des trois instrumentaux de ce projet de dix pièces. Là où « Beyond Salvation » mêle des échantillons brouillés à un glissando fantastique, « She Cries Diamond Rain » s’élève en un bourdonnement céleste. Signés par une formation reconnue pour son engagement moral, ces morceaux sans paroles laissent entrevoir un groupe en quête de renouveau, tentant de réinventer son avenir après les remous personnels et les changements de membres survenus depuis WE (2022). La pièce-titre tisse un réseau de doutes, Butler observant le monde et transformant chaque chose croisée en piège mental. Sur le premier simple, « Year of the Snake », Lanois réactive plusieurs des techniques qui avaient conféré à The Joshua Tree son mélange d’anxiété et de grandeur, tandis que Chassagne et Butler livrent un duo tendu sur leur avenir incertain. Le couple répète « If you feel strange, it’s probably good » [librement : « Si tu te sens bizarre, c’est probablement bon signe »], modulant cette phrase tantôt comme une caresse, tantôt comme une brûlure. Le groupe s’essaie ici à quelques nouvelles formules, du groove ténébreux de « Circle of Trust » à la grandeur acoustique et ascendante de « Ride or Die ». La bande replonge finalement dans ses jours de gloire avec « Stuck in My Head », morceau de clôture où la basse pulsée et la batterie implacable forcent Butler à affronter ses démons, à se demander ce qui l’attend. « Clean up your head/Get the fuck out of bed » [librement : « Fais le ménage dans ta tête/Lève ton cul du lit »], crie-t-il en boucle au climax de la chanson, comme un Springsteen en proie à une crise punk. « Clean up your heart » [librement : « Fais le ménage dans ton cœur »].